Dépassement des coûts de construction : qui est responsable ?

"Il est primordial de faire la distinction entre la responsabilité du planificateur pour le dépassement du devis proprement dit et celle associée à d'autres situations telles que le dépassement des coûts découlant d'une violation contractuelle, le franchissement d'une limite de coûts préétablie ou encore le dépassement de la garantie du coût de construction. Chaque cas présente des spécificités en termes de réglementation applicable et de conséquences juridiques."

Dans le vaste écosystème de la construction, le rôle du planificateur est incontestablement crucial, notamment dans l'estimation des coûts des travaux à entreprendre. Toutefois, il arrive parfois que ces estimations se révèlent être en-deçà de la réalité, engendrant ainsi des implications juridiques pour le planificateur. Cet article s'attelle à explorer les différentes dimensions de la responsabilité contractuelle du planificateur lorsque le coût effectif dépasse celui initialement prévu dans le devis.

Missions du planificateur & contrats

Le planificateur joue un rôle essentiel dans la préparation et l'exécution d'un chantier. Initialement, il se charge de la préparation administrative et juridique, ainsi que de l'élaboration de plannings détaillés pour garantir une organisation efficace du temps et des ressources. Il entame cette phase en soumettant les demandes de permis aux autorités compétentes, en coordonnant avec les assureurs et en s'assurant de la remise des garanties bancaires nécessaires. Il intervient également dans les démarches auprès des autorités locales et des services spécialisés pour la gestion des déchets. Par la suite, il élabore le plan de mise en œuvre en collaboration avec les autres parties prenantes du projet, puis affine les plannings du personnel, des approvisionnements et de la sécurité. Pendant la réalisation du projet, il surveille et ajuste constamment les plannings pour s'adapter aux imprévus et assurer le respect des délais. La planification est souvent combinée à d'autres responsabilités et peut être assumée par le deviseur, le chef de projet ou de chantier, voire la direction de l'entreprise. Parfois, cette fonction est également incluse dans le rôle d'un Assistant ou d'un Représentant du Maître d'Ouvrage (MO).

Le planificateur est lié par un contrat, et la nature de ce contrat influence considérablement sa responsabilité en cas de dépassement du devis. La qualification du contrat de planificateur est controversée dans la pratique juridique. Comme le contrat d’architecte n’est pas réglé par une loi spéciale à l’instar du contrat de bail par exemple, deux types de contrats règlent les prestations du planificateur: le contrat d'entreprise (art. 363 ss CO), où l'entrepreneur s'engage à réaliser un ouvrage moyennant un prix convenu avec le MO, et le contrat de mandat (art. 394 ss CO), où le mandataire s'engage à gérer l'affaire ou à fournir les services convenus.

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Budget planificateur

Les règles du mandat s'appliquent aux travaux non régis par d'autres types de contrats, et le mandataire peut prétendre à une rémunération selon la convention ou les usages. Selon la jurisprudence, la distinction entre ces deux contrats repose sur le résultat du travail attendu de l'entrepreneur, contrairement au mandataire qui ne doit qu’un comportement diligent. Ainsi, lorsque le planificateur se charge des projets ou des plans relatifs à un ouvrage, de demander des autorisations administratives, de faire des soumissions aux entrepreneurs sans pour autant être en charge de la direction des travaux, ces prestations sont réglées par le contrat d’entreprise. En revanche, lorsque le planificateur se charge de la direction de travaux, cette prestation est soumise aux règles du mandat.

Dans le cas du planificateur global qui se charge de l’ensemble des prestations d’architecte relatives à l’exécution d’un ouvrage (y compris la rédaction d’un devis), mais au moins de l’établissement des plans et de la direction des travaux, avec ou sans adjudication des travaux, le Tribunal fédéral qualifie ce contrat de contrat mixte comportant à la fois des éléments du mandat et du contrat d’entreprise, et lui applique la théorie de la dissociation à ce contrat. Ainsi, les prestations de plans sont soumises aux règles du contrat d’entreprise et en particulier les règles sur la garantie pour les défauts, alors que les prestations de direction de travaux sont réglées par le contrat de mandat. Cette situation est très problématique dans la pratique.

Dans le cas d’une responsabilité de l’architecte lors d’une mauvaise évaluation du coût des travaux (dépassement du devis proprement dit), le Tribunal fédéral applique systématiquement les règles du mandat.

En ce qui concerne les conditions générales, le planificateur doit se conformer au règlement SIA 102 ou aux conditions générales des contrats mandataires de la KBOB, pour autant que ces conditions générales aient été intégrées au contrat liant les parties (Pour en savoir plus sur les points forts et points faibles de ces deux types de contrats mandataires, nous vous conseillons la lecture de notre article « Combat en 5 rounds : SIA 102/103 vs KBOB » )

Le contrat de planificateur global est généralement le plus courant dans la pratique.

"Le devis du planificateur est un pronostic, établi en vertu d’un calcul détaillé qui renseigne le MO sur le coût prévisible de prestations portant sur un ouvrage déterminé que des tiers (entrepreneurs, fournisseurs, etc.) seront appelés à exécuter."

Obligations du planificateur en cas de dépassement de devis

Lorsqu'il s'agit du dépassement du devis, le planificateur est tenu à plusieurs devoirs selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (TF). Voici les cinq principaux devoirs liés aux coûts de construction et pouvant engager sa responsabilité en cas de non-respect :

 

  • Devoir d'établir un devis précis et explicatif : le planificateur doit calculer minutieusement les coûts globaux de construction à chaque étape du projet et les communiquer au MO, incluant les honoraires du planificateur, tout en fournissant les explications nécessaires.
  • Devoir de contrôle continu des coûts : Il doit surveiller en permanence les coûts de construction pour s'assurer qu'ils restent conformes au devis initial. Tout écart doit être signalé immédiatement au MO pour qu'il puisse prendre les mesures nécessaires.
  • Devoir d'aviser immédiatement des écarts de coûts : Le planificateur doit informer le MO dès qu'il détecte des risques de dépassement du devis, agissant sans délai pour respecter son devoir de diligence.
  • Devoir d'information sur la marge de tolérance : Il doit informer le MO sur les risques potentiels liés aux coûts de construction, expliquant notamment les incertitudes et les possibles inexactitudes du devis.
  • Devoir d'information sur les conséquences financières des modifications de commande : En cas de modification de commande, le planificateur doit alerter le MO sur les impacts financiers, conformément à l'article 1.2.61 du règlement SIA-102.

"La notion de marge de tolérance revêt une importance capitale en matière de responsabilité en cas de dépassement du devis. Cette marge prend en compte l'incertitude inhérente à l'estimation des coûts et varie en fonction de la fiabilité du devis établi par le planificateur. Généralement, cette marge se situe aux alentours de ±10 % de la somme totale des travaux devisés."

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reunion chantier

Evaluation du dommage

Au stade initial de l'étude du projet, le dépassement du devis découle principalement de l'estimation inexacte des coûts indiqués dans ce dernier. Le TF a identifié plusieurs scénari liés à cette situation :  si le planificateur établit son devis sur la base d’un calcul approximatif ou pas assez précis, s’il oublie certains postes, s’il commet une erreur de calcul ou s’il sous-estime la quantité de travail nécessaire ou les prix des matériaux ou de la main-d'œuvre.

Dans ces cinq hypothèses, le planificateur évalue mal les coûts. Il s’agit à proprement parler d’une responsabilité du planificateur pour le dépassement du devis. En effet, le devis inexact est dépassé car il est trop bas.

Au stade de l’appel d’offres et de la réalisation de l’ouvrage un dépassement de devis peut être dû à une modification de commande du MO ou des circonstances extraordinaires. En effet, tout changement de commande entraîne des ajustements de prix, contribuant ainsi au dépassement du devis initial. Par ailleurs, en cas d'événements imprévus comme des catastrophes naturelles, certains coûts supplémentaires peuvent être justifiés.

Lerégime de la responsabilité pour dépassement du devis du planificateur dépend fondamentalement de la nature de la relation contractuelle des parties. La responsabilité du planificateur global pour un devis inexact (le cas le plus fréquent en pratique) relève du contrat de mandat.

Pour évaluer les dommages, le TF considère que le planificateur doit compenser le préjudice causé par la confiance trompée du MO, qui a pris des décisions en se basant sur une estimation erronée des coûts. Cette compensation ne se limite pas à la différence objective entre le devis initial et le coût réel, mais prend en compte la valeur subjective de cette confiance déçue par le MO. Si la marge de tolérance n'est pas dépassée, il est admis que le planificateur n'a pas violé la confiance placée en lui, qu'il n'a pas commis de violation contractuelle. En cas de dépassement de la marge de tolérance, il y a violation du devoir de diligence et le planificateur doit réparer le dommage résultant de la confiance déçue qu'a subi le mandant en tenant l’estimation pour exacte et en prenant ses dispositions en conséquence.

La responsabilité du planificateur pour le dépassement de devis proprement dit ne doit pas être confondue avec d’autres situations voisines pouvant certes entraîner une responsabilité du planificateur, mais où les règles applicables et les conséquences ne sont pas identiques :

  • Dépassement des coûts en violation du contrat : ce cas ne dépend pas de l'établissement d'un devis inexact et ne résulte pas d'une mauvaise information sur le coût réel de la construction. Les coûts supplémentaires inutiles sont le dommage que le planificateur doit réparer s'ils peuvent lui être imputés.
  • Dépassement de la limite des coûts : lorsque le mandant impose une limite de coût, le planificateur doit veiller à ne pas la dépasser. S'il ne remplit pas ses devoirs et provoque un dépassement des coûts, il doit indemniser le mandant pour les coûts supplémentaires encourus.
  • Garantie indépendante du coût de construction : dans ce cas, le planificateur promet que le coût de construction ne dépassera pas un certain montant. S'il dépasse ce montant, il doit assumer les coûts supplémentaires. Cette garantie est très rare dans la pratique et ne requiert pas de faute du planificateur

 

En conclusion, le planificateur est soumis à diverses obligations, notamment celles liées à l'établissement précis et explicatif du devis, au contrôle continu des coûts, à l'information sur les écarts de coûts et les conséquences financières des modifications de commande. La responsabilité du planificateur pour le dépassement du devis dépend en grande partie de la nature du contrat, qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou d'un contrat de mandat, voire des deux (contrat mixte)

L'évaluation du dommage par le Tribunal fédéral repose sur la nécessité de compenser la confiance trompée du maître d'ouvrage, prenant en compte la valeur subjective de cette confiance déçue. Il est également essentiel de ne pas confondre la responsabilité du planificateur pour le dépassement du devis avec d'autres situations voisines, telles que le dépassement des coûts en violation du contrat ou le dépassement de la limite des coûts, qui présentent des règles et des conséquences différentes. En somme, la responsabilité du planificateur pour le dépassement des coûts de construction requiert une analyse minutieuse des circonstances spécifiques de chaque cas. Si vous désirez approfondir cette question, étudier des exemples concrets ou découvrir les différentes assurances disponibles, nous vous recommandons vivement de suivre la formation dispensée par Yann Férolles du CRB (Centre de Compétences des Standards pour la Construction et l'Immobilier), que nous avons eu le plaisir de suivre et qui a consacré sa thèse sur cette thématique (Le dépassement du devis de l’architecte – Analyse de droit suisse de la responsabilité contractuelle, thèse, Bâle 2017)